la tradition medievale

 

Où l’on confond 5ème et 9ème siècle, victoire et défaite…

 

 

 

 

ARGUMENTS DU MUSEOPARC

 

 

L’identification d’Alise-Sainte-Reine avec Alésia ne faisait aucun doute dès le Haut Moyen Age. Du moins c’est ce dont témoignerait un texte du 5ème siècle souvent repris :

        Site internet du Museoparc[i] : « Composée vers 480, la Vie de saint Germain, évêque d'Auxerre de 418 à 448, évoque son séjour à Alésia “in alesiensi loco”. C'est la première mention (conservée) par une source locale de la forme latine classique “Alésia” au sujet du Mont-Auxois. »

        Michel Reddé[ii] : « C'est en effet du mot « Alésia » qu'est dérivé le nom du pays, le pagus alesiensis médiéval, le futur « pays d'Auxois ». Dans la première moitié du 5ème siècle, saint Germain, évêque d'Auxerre, séjourna à Alésia même, (…) plusieurs textes hagiographiques, dont les plus anciens remontent aux années 450-495, en font foi. » 

        Jean-Louis Voisin[iii] : « Son nom - locus alesiensis (« l'endroit nommé alésia ») - apparaît sous sa forme latine classique dans la Vie de saint Germain d'Auxerre, rédigée vers les années 475-480. Germain y séjourna vers 430. Et plus tard, au Haut Moyen Age, Alise donnera son nom à l'une des circonscriptions territoriales, le pagus alesiensis, futur « pays d'Auxois », attesté dans le dernier quart du 5ème siècle. »

Ces trois présentations font référence au même texte, La vie de saint Germain, par Constance. Ce texte apporterait à lui seul la preuve que l'identification d'Alésia avec l'oppidum d'Alisia est un fait avéré dès le 5ème siècle.

La fiabilité de ces affirmations est-elle établie ?

 

 

EN REALITE

 

Cette affirmation qu’Alise-Sainte-Reine aurait été confondue avec Alésia « depuis le haut Moyen Age » est des plus fragiles pour les raisons suivantes :

-      Aucun texte antique n’a utilisé le mot « Alisia » pour désigner l’Alésia antique ;

-      Le site même d’Alise-Sainte-Reine n’a jamais livré la moindre inscription « Alesia » ;

-      C’est à partir du 9ème siècle et non du 5ème que les noms « Alesia » et « Alisia » alternent dans les documents, et il faut voir pourquoi.

 

   1 - Les textes antiques concernant la bataille ne parlent que d’Alesia[iv].

        Tous les auteurs antiques sans exception utilisent la graphie Alesia, aucun Alisia.

1er siècle avant J.C.

-          La Guerre des Gaules de César :                                  ALESIA

-          Bibliothèque de Diodore de Sicile :                               ALESIA

-          Histoire de Rome de Tite-Live :                                    ALESIA

-          Géographie de Strabon :                                             ALESIA

1er siècle

-          Histoire romaine de Paterculus :                                  ALESIA

-          Histoire naturelle de Pline l’Ancien :                             ALESIA

-          Vies parallèles de Plutarque :                                       ALESIA

2ème siècle

-          Annales de Tacite :                                                      ALESIA

-          Florus :                                                                       ALESIA

-          Stratagèmes de Polyen :                                              ALESIA

3ème siècle

-          Histoire de Rome de Dion Cassius :                              ALESIA

5ème siècle

-          Histoire contre les païens d’Orose :                               ALESIA

 

   2 - Alise n’a jamais été écrite Alésia avant le 9ème siècle.

On trouve en effet uniquement la graphie ali dans les inscriptions ou documents antérieurs au 9ème siècle. 

Epoque gauloise :

Inscription sur la stèle de Martialis[v]                                  ALISIIA

Epoque gallo-romaine :

Inscriptions sur les tessères en plomb[vi]                     ALI (SIENSE)

5ème siècle[vii] :

        Vie de saint Germain d’Auxerre par Constance               ALIENSI LOCO

               (Manuscrit du 9ème siècle)                                          

6ème siècle[viii] :

-          Vie de saint Amâtre, évêque d’Auxerre par Etienne l’Africain (prêtre à Auxerre) :                                                               oppido Alisiensi

-          Vie de saint Germain, évêque de Paris par Fortunat (poète évêque de Poitiers) : in pago alisiense, in pago aliense (copies du 10ème siècle), in pago alisiensi (copies des 11ème, 12ème et 13ème siècles)

8ème siècle[ix] :

-          vie de Saint Loup, évêque de Troyes :                              IUXTA ALISIAM

-          Martyrologe hiéronimien :                        loco Alisia, locum Alisiane

 

3     - A partir du 9ème siècle ali et ale alternent dans les documents[x].

-          Au 9ème siècle, le moine Eric d’Auxerre utilise les deux termes (dans deux ouvrages différents) : 

Poème sur la Vie de saint Germain d’Auxerre                                          ALESIA

Les miracles de saint Germain d’Auxerre                                         ALISIENSEM

-          Après le 9ème siècle et le moine Eric, on trouve pour les manuscrits de sa Vie de saint Germain :

Manuscrits des 9ème et 10ème siècles :                                   IN alesensu loco

Manuscrits des 9ème, 10ème et 11ème siècles                           In alisiensi loco

Manuscrit du 13ème siècle                                                   In alteriensi loco

Manuscrits des 13ème et 14ème siècles                                                  In Alefia

Manuscrit du 15ème siècle                                                                    In Alesia

 

     4 - Pourquoi ces variations interviennent-elles après le 9ème siècle ?

La première raison en est que les manuscrits parvenus jusqu’à nous sont des copies et des copies répétées. Cela explique certaines anomalies apparues tardivement comme alteriensi OU Alefia. On pourrait supposer que ce genre d’erreur de copie ait fait apparaître aussi des Alesia à la place d’Alise mais sans preuve évidemment.

La seconde raison est due à l’influence d’un poème : 900 ans après la bataille d’Alésia un moine, Eric d’Auxerre, assimila Alise et Alésia dans un poème à la gloire de sainte Reine, patronne d’Alise-Sainte-Reine. Exercice de style de l’époque, il veut associer un événement réputé à la ville dont il célèbre la martyre. Il écrit donc qu’Alise est Alésia et dans son poème il en fait… une défaite de César[xi] ! Peut-il faire autorité après cela ? Evidemment non, d’autant moins que dans un poème ultérieur il revient à la graphie « Alise ». On voit la faiblesse de pareil témoignage, extrêmement tardif, isolé et relevant sans doute de la licence poétique.

Quoi qu’il en soit, il créa une tradition et après lui, progressivement, l’idée qu’Alise et Alésia désignent un même lieu s’imposa et fut, à nouveau des siècles plus tard, consacrée par Napoléon III et ses successeurs à Alise.

Cette tradition s’imposa également par un autre biais : elle influença les copistes du Moyen Age après Eric d’Auxerre. Ce phénomène de « contamination » incita les copistes tardifs trouvant Alisia dans un manuscrit bien plus ancien qu’eux à le transformer en Alesia.

Le texte[xii] sur lequel s’appuient le Muséoparc, ainsi que MM. Reddé et Voisin date de 1919 ! Il reprend le e des copies tardives, donnant ainsi l’illusion qu’Alisia s’est écrite Alesia dès le 5ème siècle.

L’assimilation des deux lieux date donc non pas du 5ème siècle comme le Museoparc veut nous le faire croire, mais bien du 9ème siècle[xiii], près d’un millénaire après la bataille.

 

5 – La contestation de la tradition médiévale commence dès le 14ème siècle[xiv].

L’immense poète, humaniste et écrivain italien Pétrarque situe la bataille de cavalerie en territoire séquane. « Tous les dictionnaires historiques d’Italie et d’Allemagne, avant le XVIIe siècle, indiquent qu’il faut chercher l’Alésia des Commentaires en Séquanie[xv]. » Or on sait bien qu’Alisia n’est pas en Séquanie.

L’écrivain florentin Giovanni Villani, lui, parle des travaux d’investissement de césar au « castello in Borgogna ». Or dans le texte repris par Michel Reddé, on lit « castello d’Aliso in Borgogna »[xvi]. Celui-ci reprend un manuscrit de 1845[xvii], dans lequel apparaît une falsification du texte de Villani, où est rajoutée « Aliso » qui désigne la ville d’Alise. De plus, la « Borgogna » nommée par les Italiens à l’époque de Villani correspond au Comté de Bourgogne, c’est-à-dire la Franche-Comté actuelle !

 

 

CONCLUSION

 

L’hypothèse selon laquelle l’origine du nom Alise-Sainte-Reine serait celui d’Alésia est peu documentée :

-          Aucun auteur de l’Antiquité ne parle d’Alise ;

-          Aucun élément archéologique d’Alise-Sainte-Reine n’évoque Alesia ;

-          Les documents antérieurs au 9ème siècle désignent Alise-Sainte-Reine sous le radical ali et non ale ;

-          La tradition naît d’un écrit historiquement fantaisiste paru près de 1 000 ans après la bataille et qui contamine les copies ultérieures ;

-          L’exemple donné par le Muséoparc tombe sous le coup de la double critique du risque de contamination et de l’unicité.

 

 

 

 

NOTES ET REFERENCES



[i] alesia.com, lien alesia, c'est où ?

[ii] Michel Reddé, Alésia - L'archéologie face à l'imaginaire, Errance - Hauts lieux de l'Histoire, Paris, 2003, p. 69.

[iii] Jean-Louis Voisin, Alésia - Un village, une bataille, un site, Editions de Bourgogne, 2012, p. 169.

[iv] Joël Le Gall, Ernest de Saint-Denis, Raymond Weil, Alésia, textes littéraires antiques ; Abbé J. Marillier, Textes médiévaux ; Textes originaux et traductions, Les belles lettres, 1973, pp. 11 à 81.

[v] La stèle de Martialis est une plaque de marbre découverte par Maillard de Chambure en 1839 au cimetière saint Père sur le mont Auxois.

[vi] Les tessères sont des jetons qui portaient l’image d’une divinité au droit et le nom d’un peuple au revers. Ceux trouvés sur le mont Auxois portaient le nom « ali ».

[vii] Joël Le Gall, Ernest de Saint-Denis, Raymond Weil, op. cit., p. 88.

[viii] Joël Le Gall, Ernest de Saint-Denis, Raymond Weil, op. cit., pp. 90 et 91.

[ix] Joël Le Gall, Ernest de Saint-Denis, Raymond Weil, op. cit., pp. 92 à 115.

[x] Joël Le Gall, Ernest de Saint-Denis, Raymond Weil, op. cit., pp. 116 à 170.

[xi] Voir la traduction de René Potier, in Le Génie militaire de Vercingétorix et le mythe Alise Alésia, Editions Volcans, 1973, pp. 81 à 83.

[xii] Joël Le Gall, Ernest de Saint-Denis, Raymond Weil, op. cit., p. 88.

[xiii] Claude Grapin, Archéologia, Muséoparc Alésia, Hors-série n°14, 2012, p. 36 : « La plus ancienne trace écrite conservée de l'identification d'Alise-Sainte-Reine à Alésia date du IXe siècle. »

[xiv] D’après René Potier, Le Génie militaire de Vercingétorix et le mythe Alise Alésia, Editions Volcans, 1973, pp. 85 et 86.

[xv] Alexandre et Germaine Gauthier, Alésia métropole disparue, Le Puy-Lyon-Paris, 1963, p. 110.

[xvi] Michel Reddé, Alésia, L’Archéologie face à l’Imaginaire, Hauts Lieux de l’Histoire, Errance, Paris, 2003, p. 69.

[xvii] Joël Le Gall, Ernest de Saint-Denis, R. Weil, op. cit., p.171.