LE FOSSE DE VINGT PIEDS

 

Un sujet à creuser…

 

 

Carte 18 : le fossé sur le plan du 07 janvier 1863

Carte 19 : le fossé de vingt pieds sur le plan des fouilles du 20ème siècle

 

 

PRESENTATION

EN REALITE

1 - Doutes lors de la découverte du fossé

Les découvertes faites en 1864 dans le fossé

Intersection entre le fossé et la voie romaine 

2 – Un fossé de 20 pieds à 400 pieds des lignes ?

Le profil du fossé fff

Les exigences militaires

3 – Validation du fossé ou confirmation des doutes ?

Le fossé sur les vues aériennes

Les fouilles du 20ème siècle 

CONCLUSION

NOTES ET DOCUMENTS

 

 

PRESENTATION

 

        Le fossé de vingt pieds est un élément majeur du système d’investissement de la place d’Alésia par l’armée romaine. César est très précis quant à :

-      ses dimensions (5,90 mètres de large, à parois verticales, seule la profondeur n’est pas indiquée),

-      sa place par rapport aux autres fortifications (à 120 mètres devant la contrevallation),

-      son rôle dans la stratégie d’encerclement (protéger les légionnaires lors de la construction des « formidables [1] » fortifications de la plaine).

        « César entreprit les travaux que voici. Il creusa un fossé de vingt pieds de large, à côtés verticaux, en sorte que la largeur du fond était égale à la distance entre les deux bords ; il mit entre ce fossé et toutes les autres fortifications une distance de quatre cents pieds ; il voulait ainsi éviter des surprises, car ayant été obligé d’embrasser un si vaste espace et pouvant difficilement garnir de soldats toute la ligne, il devait craindre soit que pendant la nuit l’ennemi se précipitât en masse contre les retranchements, soit que de jour il lançât des traits contre nos troupes, qui avaient à travailler et non à lui répondre[2]. »

        On admettra ici avec Joël Le Gall[3] que le fossé de vingt pieds a été creusé dans plaine devant l’oppidum, les rivières de l’Oze et de l’Ozerain étant supposés tenir lieu de fossés d’arrêt sur les flancs (malgré la faible valeur militaire de ces cours d’eau).

        Le fossé ainsi défini a été découvert lors des fouilles du Second Empire, il a également été repéré sur une photo aérienne en 1988[4] et un sondage a permit de décrire son profil lors des dernières fouilles[5]. Noté fff sur le plan de Napoléon III, il part de l’Oze, décrit un arc de cercle orienté vers l’ouest devant le mont Auxois dans la plaine des Laumes, puis rejoint l’Ozerain.

               

 

EN REALITE

 

1 - Doutes lors de la découverte du fossé

 

Les découvertes faites en 1864 dans le fossé

 

        En 1861, lors de la découverte de ce qu’on nommera lignes de contrevallation et de circonvallation, on rechercha le fossé à l’endroit où il devrait être, c’est-à-dire à 400 pieds en avant de la contrevallation[6]. Il n’y était pas. Un fossé plus large que les autres, appelé fossé de vingt pieds, fut découvert à l’automne 1864 par hasard, en curant un fossé de chemin vicinal[7].

        En novembre 1864, suite aux ordres donnés par Stoffel de creuser le fameux fossé, Millot y trouve des débris d’os et de poteries. Stoffel à Millot : « Ne vous trompez-pas : rendez-moi compte de ce qu’on y trouve comme os, débris. Est-ce bien un fossé du temps du siège d’Alésia[8] ? » La boîte contenant les ossements et débris de poterie découverts dans le fossé est transmise à Stoffel, qui l’envoie à de Saulcy via un huissier. Lettre de Stoffel à de Saulcy : « En l’examinant, voyez, je vous prie, si les débris qu’elle contient ne doivent pas se rapporter à une époque postérieure à celle de l’investissement d’Alésia[9]. » Ensuite, plus aucune trace de ces objets ! On peut légitimement se demander pourquoi ces objets, si importants pour dater le fossé, n’ont été ni répertoriés ni conservés. En clair, qu’en a fait de Saulcy ? Ou quelle date restée inconnue révélaient-ils ?

 

Intersection entre le fossé et la voie romaine

 

        Lettre de Pernet à Millot : « Si en Ravouze vous êtes sur une voie romaine, faites-la couper, le fossé a été creusé avant la voie et peut-être le trouverez-vous dessous[10]. »

        Sur le grand plan du 07 janvier 1863, le fossé de vingt pieds a été rajouté postérieurement, et il passe sur la voie romaine.

        Sur les quatre croquis esquissés par Millot entre novembre et décembre 1864[11], un seul montre le fossé passant sous la voie romaine. Les trois autres montrent la voie sous le fossé ! Millot a-t-il suivi les ordres de Pernet, et si oui pourquoi les schémas sont-ils contradictoires ? A-t-on réellement cherché à voir si le fossé passait bien sous la voie romaine ?

 

 

2 – Un fossé de 20 pieds à 400 pieds des lignes ?

 

Le profil du fossé fff

 

        Le fossé découvert au Second Empire, si l’on en croit les relevés de l’époque, faisait 4,6 à 5,4 mètres d’ouverture, 1,7 à 2,7 mètres de profondeur, et 1,8 à 3,5 mètres de largeur au fond[12].

        E. Stoffel : « D’abord 3 mètres d’ouverture sont loin de faire 20 pieds[13]… »

        L. A. Constans : « Le profil en est singulier[14]. » En effet, il n’est nulle part à parois verticales.

        M. Reddé : « Il n’a de toutes façon pas 20 pieds de large, ce qu’avaient déjà montré les fouilles du second Empire, mais qui perturbait beaucoup Stoffel[15]… »

        Le profil du fossé fff[16] est donc loin d’être celui d’un fossé de 5,90 mètres d’ouverture à parois verticales.

 

Les exigences militaires

 

        Les lois de la poliorcétique nous donnent l’explication de la distance de 120 mètres :

        - Placé 120 mètres en avant des fortifications en cours, il est à portée des armes de jet romaines « catapultes et balistes[17] » qui peuvent en interdire le franchissement. Léopold-Albert Constans écrit : « 120 mètres. M. Jullian suppose que cette distance correspond à la portée des machines de César[18]. »

        - Sa grande largeur (5,90 mètres) est de nature à éviter que l’ennemi ne le traverse avec des passerelles ou ne le comble « avec de la terre ou des fascines[19] ». Ses parois sont verticales pour que les Gaulois ne puissent pas facilement y descendre ni en remonter ;

        Or le fossé découvert par Stoffel dans la plaine des Laumes, face à l’oppidum, et qui est nommé fossé de vingt pieds, n'est pas situé à 120 mètres de la contrevallation, mais à une distance variant de 300 à 900 mètres[20].

        - D’aucuns ont tenté de résoudre le problème[21] en remplaçant « pedes » (pied = 0,296 m) par « passus » (pas = 1,48 m) dans le texte de César, ce qui mettrait le fossé à une distance de la contrevallation variant de 440 à 1300 mètres, plus proche des données du terrain, mais évidemment pas du texte ! Bien plus, un fossé éloigné à ce point des lignes et des engins de tir peut facilement être franchi par les Gaulois et ne sert pas de fossé d’arrêt.             

        - D’où les doutes de Stoffel, responsable des fouilles, dans une lettre à Millot, son exécutant : « Ce fossé serait à 800 ou 900 mètres de la contrevallation. Or, César, ordinairement très précis, l’indique à 600 mètres ou 120 mètres (on ne sait pas encore lequel des deux). Voyez cependant ; mais votre fossé ne serait-il pas autre chose[22] ? »

        L. A. Constans : « On a souvent corrigé pedes en passus, ce qui donnerait 600 mètres. La correction nous paraît inutile. Nous avons des doutes sur l’identité du fossé fff découvert par Stoffel : il est presque constamment à plus de 400 pas de la contrevallation[23]… »

        J. Le Gall : « C’est cette distance incertaine qui a toujours attiré l’attention sans que personne pût résoudre cette énigme… On doit se demander pourquoi César a fait creuser cet obstacle exceptionnel si loin en avant de la ligne qu'il devait protéger et ne l'a pas fait défendre[24]. »

        M. Reddé : « « Il est en revanche absolument impossible de réduire l'écart entre le texte Césarien, qui décrit ce fossé de 20 pieds et la réalité du terrain. Non seulement ce fossé n'est pas à 120 m (400 pieds) de la contrevallation, mais il n'est même pas à 600 m (400 pas)[25]… » ; « La question reste pour l’instant insoluble[26]. »

        Il est donc clairement établi que la distance entre le fossé fff et les lignes d’investissement contredit donc à la fois le texte de César et les lois de la poliorcétique.

 

 

3 – Validation du fossé ou confirmation des doutes ?

 

Le fossé sur les vues aériennes

 

        La seule photo aérienne supposée du fossé de vingt pieds a été prise en 1988 : « Le seul [indice] plausible date de 1988 : une large bande plus foncée qui traverse un pré au carrefour des trois croix et se prolonge dans les céréales voisines. L’aspect est celui d’un fossé comblé plus large que les fossés de circonvallation et de contrevallation[27]. » Or depuis le premier survol d’Alise en 1959 pour une mission de photographies archéologiques jusqu’à aujourd’hui, des milliers de photographies du site ont été prises[28]. « Alésia devient un site expérimental dans la mise au point d’une véritable méthodologie de la photographie aérienne en ce qui concerne l’archéologie. C’est même le site le plus longuement étudié par photographie aérienne[29]. »

        Cinquante ans de prises de vue aériennes, des milliers de photographies en toutes saisons, et une seule trace, incertaine, du plus large fossé des défenses césariennes ? On peut exprimer des doutes sur la réalité de l’interprétation ou sur l’existence même de ce fossé.

        De plus, la trace observée, très limitée en longueur (moins de 200 mètres), ne colle pas avec le tracé de la carte napoléonienne : « Mais si, au départ, il coïncide avec les plans de Napoléon III, il en diverge ensuite. Est-ce bien le fossé de vingt pieds, et dans l’affirmative peut-on y voir une erreur dans le relevé topographique du 19ème siècle[30] ? »

       

Les fouilles du 20ème siècle

 

        En 1988, lors de travaux près d’un puits moderne au lieu-dit les Fins devant l’oppidum, il a été observé un fossé de 1,22 mètre de large et profond de 0,67 à 0,70 mètre de profondeur[31]. On est surprit de lire dans le rapport de fouilles «  Fossé de vingt pieds ? [32]», pour un fossé dont les dimensions laissent rêveur…

        Lors des dernières fouilles, un seul sondage est fait pour retrouver le fossé, sur ce même lieu-dit, les Fins : « Sous la couche d'humus, épaisse de 0,35 m, le fossé s'ouvrait sur une largeur de 3,1 m, une profondeur de 0,95 m avec un fond de 1,6 m, soit des parois qui suivaient une pente de 55°. Le fond montrait un creux de 0,12 m de profondeur, large de 0,5 m, visible dans les deux coupes. Sa signification reste incertaine, en l’absence de sondages complémentaires… Il s’agit donc d’un fossé en forme de baquet[33]. »

        Comment, dans ce cas précis du fossé de vingt pieds, Siegmar von Schnurbein peut-il affirmer : « Les travaux de cette dernière décennie confirment parfaitement le tracé général des deux lignes de contrevallation et de circonvallation, ainsi que celui du fossé de vingt pieds, tels que nous les connaissons par les plans du 19ème siècle[34] » ?

 

 

 

CONCLUSION

 

        Les objets découverts dans le fossé dit de vingt pieds n’ont pas été exploités pour la datation de celui-ci, ou les résultats n’ont pas été publiés.

        Le profil, l’emplacement, la distance par rapport aux lignes ne correspondent en rien avec le texte de César, très précis quant à cet élément majeur du dispositif.

        Les relevés aériens ou les sondages au sol n’ont nullement permis de confirmer l’existence d’un tel fossé à l’endroit attendu.

        Malgré tout, le fossé fff découvert par Napoléon III reste toujours marqué sur les cartes modernes du site, alors que son identification avec le fossé de vingt pieds décrit par César ne répond à aucune des exigences militaires voulues.

 

 

 

NOTES ET DOCUMENTS



[1] César, B. G., VII, 86.

[2] César, B. G., VII, 72. Comme souvent, César parle de lui-même à la troisième personne.

[3] Le Gall Joël, La bataille d’Alésia, Paris, 2000, p.65.

[4] Goguey René, L'archéologie aérienne sur le site d'Alésia, méthodologie et résultats, in Reddé Michel et von Schnurbein Siegmar (dir.) et coll., Fouilles et recherches franco-allemandes sur les travaux militaires romains autour du mont Auxois (1991-1997), Mémoire de l'académie des inscriptions, Paris, 2001, 1, 33-53, p. 45.

[5] Bender Stephan et Wenzel Carsten, Le fossé de 20 pieds, in M. Reddé et S. von Schnurbein (dir.) et coll., op. cit., 1, 388-390, pp 388 à 390.

[6] Le Gall Joël, Fouilles d’Alise-Sainte-Reine, 1861-1865, Mémoire de l’académie des inscriptions et belles-lettres, Paris, 1989, 1, 78.

[7] Ibid., 333bis.

[8] Ibid., 324.

[9] Ibid., 328.

[10] Ibid., 329.

[11] Le Gall Joël, op. cit., 1989, 2, documents 36, 37, 38 et 39.

[12] Bender Stephan et Wenzel Carsten, op. cit., p. 390.

[13] Le Gall Joël, op. cit., 1, 322.

[14] L. A. Constans, César, Guerre des Gaules, Editions Les belles lettres, 1954, 2, p. 263, note 1.

[15] M. Reddé, Le siège d’Alésia, récit militaire et réalité du terrain, in M. Reddé et S. von Schnurbein (dir.) et coll., op. cit., 1, p. 503.

[16] Ce n’est d’ailleurs pas le seul fossé présentant de telles dimensions : par exemple celui qui, en face de la circonvallation, monte sur le flanc du Réa, fait 5,60 mètres d’ouverture et a un fond plat de 1,50 mètre de large. Voir Le Gall Joël, op. cit., 2, document 51.

[17] Le Gall Joël, La bataille d’Alésia, Paris, 2000, p. 77.

[18] L. A. Constans, op. cit.

[19] César, B. G., VII, 86.

[20] Carte du siège d’Alésia

[21] Guischard, Mémoires critiques et historiques…, 1773, pp. 499-501, cité par Jérôme Carcopino, Alésia et les ruses de César, Paris, 1958, p. 61 ; Le Gall Joël, La bataille d’Alésia, Paris, 2000, p. 64.

[22] Le Gall Joël, Fouilles d’Alise-Sainte-Reine, 1861-1865, Mémoire de l’académie des inscriptions et belles-lettres, 1989, Paris, 1, 322.

[23] L. A. Constans, op. cit.

[24] Le Gall Joël, op. cit., p. 64.

[25] Reddé Michel, op. cit., 1, 489-506, p. 503.

[26] Reddé Michel, L’archéologie face à l’imaginaire, Errance, 2003, p. 166.

[27] Goguey René, L'archéologie aérienne sur le site d'Alésia, méthodologie et résultats, in M. Reddé et S. von Schnurbein (dir.) et coll., op. cit., 1, pp. 33 à 53, p. 45.

[28] Goguey René, Un cas d'école pour la photographie aérienne, in Alésia - Comment un oppidum gaulois est entré dans l'histoire, dossier d'archéologie, n°305, Dijon, 2005, pp. 46-55.

[29] Voisin Jean-Louis, Alésia – Un village, une bataille, un site, Editions de Bourgogne, 2012, pp. 136.

[30] Goguey René, op. cit.

[31] Besnard Jacky et Brouquier-Reddé Véronique, Histoire d'une recherche, Annexe 1, Recherche sur les lignes de César depuis les travaux de Napoléon III, in M. Reddé et S. von Schnurbein (dir.) et coll., op. cit., 1, 17-23, p 23.

[32] Ibid.

[33] Bender Stephan et Wenzel Carsten, op. cit., p. 390.

[34] Von Schnurbein Siegmar, Les fossés et les pièges, in M. Reddé et S. von Schnurbein (dir.) et coll., op. cit., 1, 539-550, p. 539.