LES DONNEES NUMERIQUES DE CESAR A ALESIA
Quand II et II font… 4 !
1 - Faut-il croire aux données numériques de César ?
Le style littéraire de César
César devant ses contemporains
Trois exemples topographiques
2 - Les données numériques d’Alésia appliquées à Alise
La plaine devant l’oppidum
La longueur des lignes d’investissement
La distance entre les tours de siège
L’occupation de l’oppidum
Les données numériques citées par César dans le Bellum Gallicum sont-elles fiables, et peut-on les utiliser pour appliquer avec rigueur les caractéristiques qu’il donne de l’Alésia antique ? La question se pose pour quatre éléments bien précis : la description de la plaine devant l’oppidum, la longueur des lignes d’investissement, la distance entre les tours de siège et l’effectif des assiégés.
Sur ces quatre points, il faut comparer les données numériques de César à la réalité du terrain, et vérifier si la géographie d’Alise est compatible avec la description de l’Alésia antique faite par César.
1 - Faut-il croire aux données numériques de César ?
Le style littéraire de César
Le site internet du Museoparc indique : « Écrits dans un latin classique admirable, les Commentaires de César sont très rapidement apparus comme une œuvre littéraire magistrale en même temps qu’un manuel militaire[i]. » Un manuel militaire peut-il reposer sur des données géographiques ou militaires fausses ?
Michel Rambaud, dans son ouvrage de référence, L’art de la déformation historique dans les Commentaires de César[ii], décortique le style littéraire de César : simplicité et précision[iii]. Il explique comment César rend compte des évènements à son propre avantage : les techniques de la démonstration (disjonctions des faits, récit justificatif, narration pré-explicative), les techniques de la persuasion, la déformation des personnages et des groupes. Mais Michel Rambaud nous persuade que si César arrive à mentir par omission, répétition, dissimulation, dramatisation, celui-ci n’invente pas l’histoire qu’il écrit. M. Rambaud indique même que pour ce qui est des données chiffrées, on peut croire César :
Sur la topographie, « Il ne paraît pas acharné à tromper sur les comptes… On ne peut pas accuser César de tripler ni de quadrupler[iv]. » ; « Le récit césarien ne fournit que les données militaires de la manœuvre, et en termes généraux : ici une montagne, là une chaîne, au pied de la montagne, une colline, et l’ennemi[v]. »
Sur les populations et les contingents, « Le Bellum Gallicum ne falsifierait pas les données numériques, mais les fournirait justes, avec une manière de s’en servir fausse, et qui ferait illusion. »
Hirtius, légat en Gaule avec César jusqu’en – 54, chef de son secrétariat et auteur du livre VIII du Bellum Gallicum, écrit : « Car c’est un fait reconnu de tous : il n’est pas d’ouvrage, quelque soin qu’on y ait mis, qui ne le cède à l’élégance de ces commentaires. Ils ont été publiés pour fournir des documents aux historiens sur des évènements si considérables… César n’avait pas seulement au plus haut degré le don du style et l’élégance naturelle de l’expression, mais il avait aussi le talent d’expliquer ses desseins avec une clarté et une exactitude absolues[vi]. »
Cicéron, bien que dans le camp de Pompée, dresse des louanges indirectes à César à propos de la précision et de la clarté de son style : « Brutus : mais il (César) a aussi écrit des commentaires de ses actions ? Oui certes, dis-je, et qui doivent être loués, car ils sont sans détours, agréables et nus, ayant été dépouillés, comme d’un vêtement, de tout ornement de style … il n’y a rien, en effet, qui charme autant l’historien qu’une concision correcte et lumineuse[vii]. »
César devant ses contemporains
Le Bellum Gallicum est une synthèse écrite par César à partir de trois sources différentes : les rapports des légats à César, les rapports de César au sénat, et enfin des apports étrangers écrits ou oraux[viii].
Site internet du Museoparc : « Les témoins intéressés ont été trop nombreux pour que les faits relatés ne soient pas exacts[ix]. »
Jean-Louis Voisin : « Impossible alors de camoufler certains faits, de falsifier grossièrement les chiffres, de tricher avec la réalité, au risque d’être démenti sans arrêt, considéré comme un menteur et finalement de ne pas être cru : les campagnes de César étaient observées et commentées depuis Rome[x]. »
Ces arguments en faveur de la sincérité des données présentées par César sont décisifs : pendant la campagne de – 52 et lors du siège d’Alésia, César était accompagné de Marc-Antoine (général et plus tard tribun de la plèbe puis grand rival d’Auguste), de Quintus Tullius Cicero (frère de Cicéron et légat de César), de Labiénus (légat de légion, adjoint de César dans le commandement de l’armée en Gaule, et soutien acharné de Pompée dès le début de la guerre civile), et de nombreux officiers qui rentrèrent à Rome à la fin de la conquête. Des affabulations ou de larges exagérations de César dans ses écrits n’auraient pas manqué alors d’être relevées à Rome, en particulier lors des distensions politiques ultérieures. Or il n’en fut rien.
Trois exemples topographiques
Nous avons dans le Bellum Gallicum trois exemples de données topographiques chiffrées qui peuvent être facilement vérifiés sur carte.
La boucle du Doubs à Besançon : « Le Doubs entoure presque la ville entière d'un cercle qu'on dirait tracé au compas, … l'espace que la rivière laisse libre ne mesure pas plus de seize cents pieds [500 m], et une montagne élevée la ferme si complètement que la rivière en baigne la base des deux côtés[xi]. » Le paysage que l’on peut voir à Besançon est à l’exacte description de César, et le resserrement de la boucle du Doubs mesuré sur carte fait 500 m.
Le Rhône depuis le lac Léman jusqu’au Jura : « Il employa la légion qu’il avait… à construire, sur une longueur de dix-neuf mille [28 km], depuis le lac Léman… jusqu’au Jura… un mur de seize pieds et précédé d’un fossé[xii]. » La mesure sur carte de la longueur du Rhône entre le lac Léman et le fort de l’écluse, au pied du Jura, nous donne justement 28 km.
La distance entre Boulogne-sur-mer et les côtes de la Grande-Bretagne : « …Portus Itius [Boulogne], d’où il savait que la traversée est le plus aisée, et d’où il n’y a que trente milles [44,4 km] environ du continent en Bretagne[xiii]. » Sur une carte, la distance mesurée entre le port de Boulogne et les côtes les plus proches de Grande-Bretagne est de 45 km.
Dans les cas où César décrit les lieux précis où il est passé pour ses conquêtes, la précision ressort donc de manière cinglante.
2 – Les données numériques d’Alésia appliquées à Alise
Les témoignages précédents et les vérifications faites sur carte établissent que les données numériques de César sont fiables. Celles qu’il donne pour l’Alésia antique se retrouvent-elles à Alise-Sainte-Reine ?
La plaine devant l’oppidum
César répète trois fois sa dimension en longueur :
« En avant de la ville, une plaine s’étendait, sur une longueur d’environ trois mille pas[xiv]. »
« …la plaine… s’étendait entre les collines sur une longueur de 3 000 pas[xv]. »
« Le lendemain, ils [l’armée de secours] font sortir leur cavalerie et couvrent toute la plaine dont nous avons dit qu’elle avait 3 000 pas de long[xvi]… »
La description de la plaine par César est conforme à son style militaire, concis et précis :
- La plaine d’étend devant l’oppidum ;
- La plaine fait 3 000 pas en longueur ;
- La plaine s’étend entre les collines ;
- 8 000 cavaliers permettent de couvrir toute la plaine.
Or la plaine des Laumes, devant le mont Auxois, se prolonge sur des km, loin au nord-ouest d’Alise. La Brenne y coule jusqu’après Montbard, et se jette dans l’Armançon à plus de vingt km d’Alise. Comment donc isoler devant le mont Auxois une plaine de 3 000 pas (4,5 km) de longueur ?
Jérôme Carcopino n’y parvient pas. Le découpage qu’il propose aboutit à une surface de 630 Ha[xvii]. Comment croire que 8 000 cavaliers peuvent à eux seuls couvrir cette immense surface (plus de 700 m² par cavalier) ?
Joël Le Gall quant à lui mesure la plaine des Laumes entre la montagne de Flavigny et la montagne de Bussy « en arc-de-cercle[xviii] ». Il fait fi du qualificatif repris trois fois par César : « en longueur ».
Michel Reddé voit la plaine de 3 000 pas s’étalant depuis le pied du mont Auxois jusqu’au pied de la hauteur de Grignon, où la vallée de la Brenne « se rétrécit sensiblement[xix] ». Il indique une largeur moyenne de 2,5 – 3 km[xx]. Là encore, la surface de la plaine serait au minimum de 1 125 hectares, surface bien trop importante pour être couverte par la cavalerie de l’armée de secours.
Il n’y a donc pas de plaine de 4,5 kilomètres de long, enserrée entre les collines, devant le mont Auxois. Il y a une immense plaine, que toute une cavalerie de 8 000 unités ne peut pas couvrir « entièrement ».
La longueur des lignes d’investissement
César indique très précisément à propos de la contrevallation (autour de l’oppidum d’Alésia) : « Les travaux qu’entreprenaient les Romains se développaient sur une longueur de 11 000 pas [16 km]. »
De même, César donne la longueur précise de la circonvallation (dirigée contre l’armée de secours) : « César… fit, sur 14 000 pas [21 km] de tour, une fortification pareille à celle-là, mais inversement orientée, contre les attaques du dehors… »
Mesurée sur la carte du siège supposé d’Alésia à Alise-Sainte-Reine[xxi], la contrevallation fait 12 km de longueur et la circonvallation 14,5 km.
On a donc une différence de 4 km pour la contrevallation et de 6,5 km pour la circonvallation. César, si précis ailleurs, se serait donc laissé aller ici à d’importantes approximations ? Et en plus pour des lignes dessinées et construites par lui-même ? Est-ce César qui se trompe, le terrain qui ment, ou Alésia qui n’est pas à sa place ?
La distance entre les tours de siège
César : « Derrière ces fossés, il éleva une terrasse et un rempart de douze pieds ; il y ajouta un parapet et des créneaux, et fit élever de grosses pièces de bois fourchues à la jonction du parapet et du rempart, pour en rendre l'abord plus difficile aux ennemis. Tout l'ouvrage fut flanqué de tours, placées à quatre-vingts pieds l'une de l'autre[xxii]. »
Quatre-vingts pieds = 24 m
Pourquoi 24 m ? Parce c’est un compromis entre d’une part la précision des armes de jets (lance et pilum ou javelot) lancés depuis les tours sur les assaillants arrivés au pied du rempart, et d’autre part l’économie de travail réalisé sur le nombre de tours.
« Les pila et les lances peuvent atteindre plus de 30 m, mais leur précision est d’autant plus grande que ces armes sont utilisées à courte distance… Les meilleurs résultats sont obtenus à moins de 20 m[xxiii]. » Un assaillant se trouvant entre deux tours, c’est-à-dire à 12 m de chacune de celles-ci, peut donc être visé avec une bonne précision par les légionnaires depuis les tours.
Le mur d’Aurélien à Rome, qui encercle la ville antique depuis le IIIe siècle après J.-C., voit ses tours séparées de 24 à 28 m. Au Mans, la muraille romaine qui entoure la ville ancienne, a été bâtie à la même époque. L’intervalle entre les tours est de 24 m. Or la portée des armes de jets était la même qu’au 1er siècle avant J.-C.
A Alise, les fouilles ont permis de découvrir sur la contrevallation de la plaine des Laumes une série de trous de poteaux qui ont été assimilés à des poteaux de tours. L’espace mesuré entre les tours bord à bord varie entre 12,50 m et 17 m[xxiv]. Sur la circonvallation de la plaine des Laumes, l’espace est de 16,80 et 17,40 m[xxv]. Sur celle de la plaine de Grésigny, 16 m.
On a ici une différence flagrante entre les intervalles réguliers dictés par César (et que l’on retrouve sur des remparts romains encore debout), et ces intervalles très variables qui ont été mesurés lors des dernières fouilles à Alise. Là encore, faut-il croire qu’Alise-Sainte-Reine, qui ne respecte ni les règles militaires ordinaires ni les données de César, puisse être l’Alésia antique ?
L’occupation de l’oppidum
César parle de 80 000 hommes d’élites gaulois sur l’oppidum d’Alésia[xxvi]. Après sa victoire, César rend aux Héduens et aux Arvernes environ 20 000 prisonniers[xxvii] et distribue les autres à l’armée entière, à titre de butin, à raison d’un par tête[xxviii]. On a donc environ 60 000 prisonniers gaulois pour environ 60 000 légionnaires romains (10 légions de 6 000 hommes), chiffres cohérents avec les effectifs romains à Alésia que l’on estime entre 10 et 12 légions[xxix].
« Il [Vercingétorix] donne à chaque homme sa part du bétail, dont les Mandubiens avaient amené une grande quantité[xxx]… »
« Il [Vercingétorix] fait rentrer dans la ville toutes les troupes qu’il avait établies sous ses murs[xxxi]. »
Sur le plateau d’Alésia, et non sur les pentes de l’oppidum, se concentrent donc 80 000 fantassins, plus la population des Mandubiens avec femmes et enfants, et du bétail en grande quantité.
Peut-on faire tenir un nombre pareil d’individus et d’animaux sur un plateau d’oppidum dont la surface ne dépasse pas 97 ha, pendant une durée de plusieurs semaines ?
CONCLUSION
Si l’on prend les données chiffrées brutes de César concernant Alésia, à chaque fois apparaissent des incompatibilités majeures pour affirmer qu’Alise = Alésia :
- L’absence d’une plaine de 3 000 pas de longueur devant le mont Auxois, pouvant être couverte par la cavalerie gauloise ;
- La différence flagrante de longueur entre les lignes d’investissement décrites et mesurées par César et celles mesurées autour du mont Auxois ;
- Les intervalles variables et illogiques entre les tours de siège révélées lors des dernières fouilles ;
- L’extrême difficulté que l’on peut avoir à imaginer l’entassement de plus de 80 000 guerriers, la population indigène et un bétail nombreux sur une surface aussi réduite que celle du mont Auxois.
Concluons avec Michel Reddé : « S'il existe quelques écarts, au demeurant plus mineurs qu'on ne l'a dit, entre la source littéraire et le terrain, ce n'est ni parce que César a délibérément falsifié la vérité, ni, évidemment, parce que le terrain ment[xxxii]… »
Mais alors, qui se trompe ou qui ment ?
NOTES ET DOCUMENTS
[i] alesia.com, lien Commentaires-de-Cesar.pdf
[ii] Michel Rambaud, L’art de la déformation historique dans les Commentaires de César, Paris, Les Belles Lettres, 1952, réédition 2011.
[iii] Ibid., pp 25 à 32.
[iv] Ibid., pp. 179 à 182.
[v] Ibid., p. 41.
[vi] B.G., VIII, préface.
[vii] Cicéron, Brutus, 75.
[viii] Michel Rambaud, op. cit., 51.
[ix] alesia.com, lien Commentaires-de-Cesar.pdf
[x] Jean-Louis Voisin, Alésia, Un village, une bataille, un site, Editions de Bourgogne, 2012, pp. 92-93.
[xi] César, B.G., I, 38.
[xii] César, B.G., I, 8.
[xiii] César, B.G., V, 2.
[xiv] César, B.G., VII, 69.
[xv] César, B.G., VII, 70.
[xvi] César, B.G., VII, 79.
[xvii] Jérôme Carcopino mesure la plaine des Laumes entre les hauteurs de Pouillenay au sud et le mont Réa au nord, le long de la Brenne. Pour lui en effet, César ne parle que de la partie de la plaine située entre les collines (Mussy-la-Fosse à l’ouest et le mont Auxois à l’est). In Jérôme Carcopino, Alésia et les ruses de César, Paris, 1958, p. 28.
[xviii] Joël Le Gall, La bataille d’Alésia, Paris, 2000, p. 44.
[xix] Michel Reddé et Siegmar von Schnurbein (dir.) et coll., Fouilles et recherches franco-allemandes sur les travaux militaires romains autour du mont Auxois (1991-1997), Mémoire de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, Paris, 2001, 1, Le siège d’Alésia : récit littéraire et réalité du terrain, 489-506, p. 498.
[xx] Ibid.
[xxi] Michel Reddé et Siegmar von Schnurbein (dir.) et coll., op. cit., Le siège d’Alésia, planches hors-texte 4.
[xxii] César, B.G., VII, 72.
[xxiii] Michel Reddé et Siegmar von Schnurbein (dir.) et coll., op. cit., 1, Topographie, système défensif et armement antique, 551-556, p.554.
[xxiv] Michel Reddé et Siegmar von Schnurbein (dir.) et coll., op. cit., 1, La plaine des Laumes, 298-407, p. 345.
[xxv] Michel Reddé et Siegmar von Schnurbein (dir.) et coll., op. cit., 1, La plaine de Grésigny et le mont Réa, 409-471, p. 461.
[xxvi] César, B.G., VII, 71.
[xxvii] César, B.G., VII, 90.
[xxviii] César, B.G., VII, 89.
[xxix] Michel Reddé, Alésia, L’Archéologie face à l’Imaginaire, Hauts Lieux de l’Histoire, Errance, Paris, 2003, p. 32.
[xxx] César, B.G., VII, 71.
[xxxi] César, B.G., VII, 71.
[xxxii] Michel Reddé et Siegmar von Schnurbein (dir.) et coll., op. cit., 1, Bilan d’une recherche, 557-562, p. 562.