LES CHEVAUX D’ALESIA

 

 

Ou comment lire le récit d’une bataille

dans 10 kg d’os et de dents de chevaux…

 

 

 

LES Arguments DU museoparc

EN réalité

            1 - Représentativité du matériel étudié

            2 - Localisation du matériel découvert

            3 -Doutes sur la présence des chevaux germains

            4 -L’origine des chevaux

            5 -La taille des chevaux

            6 -Le problème des mulets

            7 -L’âge et le sexe des chevaux

            8 -L’aspect des os retrouvés

Conclusion

NOTES ET REFERENCES

 

 

 

LES Arguments DU museoparc

 

 

       « Les fouilles du XIXe siècle ont signalé de grandes quantités d’ossements de chevaux, qui n’ont malheureusement pas été conservés ni étudiés. Les fouilles franco-allemandes entreprises entre 1991 et 1997 ont recueilli dans le fossé de la contrevallation situé au pied du mont Réa un important échantillon d’ossements animaux. Bien qu’ils soient souvent très fragmentés, ils ont pu faire l’objet d’une étude archéozoologique minutieuse. Cette étude a démontré qu’il s’agissait presque exclusivement d’os de chevaux (99%). L’étude a aussi montré qu’il s’agissait essentiellement d’animaux mâles et jeunes (5 à 10 ans en moyenne, le meilleur âge pour utiliser des chevaux en cavalerie). Cette préférence à utiliser des jeunes mâles comme montures pour la guerre connaît un parallèle dans l’étude des restes osseux de chevaux retrouvés sur le site néerlandais de Krefeld-Gellep, théâtre de l’un des épisodes de la guerre batave en 69 après J.-C. Enfin, l’analyse des importantes variations morphologiques qui ont été constatées a permis d’identifier de manière certaine deux races équines, bien connues par ailleurs. L’une est grande (environ 150/160 cm au garrot) et tout à fait exceptionnelle en Gaule chevelue avant l’époque impériale, date à laquelle elle se répand progressivement. Cette race est d’origine italique. L’autre race est beaucoup plus petite (environ 130 cm au garrot). L’archéologie prouve qu’elle est très commune en Gaule pendant toute la période gauloise et perdure pendant la période gallo-romaine tout en cédant du terrain devant la race plus grande. Il s’agit d’une race indigène. Enfin, l’étude des restes équins tend à prouver la présence d’une race encore plus petite (environ 115/120 cm au garrot), inconnue en Gaule mais bien attestée à l’est du Rhin. L’étude archéozoologique des restes osseux de chevaux découverts sur le site d’Alise-Sainte-Reine prouve la présence simultanée et en grand nombre sur le site de chevaux de cavalerie romains et gaulois, et peut-être germains[1]. »

        L’hypothèse des trois races de chevaux est transformée en argument par Jean-Louis Voisin, c’est même pour lui l’une des neuf preuves de la localisation du site de la bataille d’Alésia à Alise-Sainte-Reine[2].

 

 

 

EN réalité

 

1 -Représentativité du matériel étudié

 

        « L’ensemble des ossements issus des fouilles récentes d’Alésia comprend environ 3500 restes.[3] » Le lot étudié est celui du chantier XIX. Il se distingue des 16 autres lots découverts sur les autres chantiers par sa plus grande proportion de fragments d’os de cheval par rapport aux autres espèces domestiques. Le matériel comprend 1159 restes osseux et dentaires pour une masse totale de 12,260 kg. Il est constitué de 440 restes assurés de chevaux (10,660 kg), de 713 petits fragments indéterminés (1,470 kg) de l’aspect et de la couleur des restes de chevaux, de 5 restes de bœuf et d’un de sanglier.

        L’étude porte donc sur 10,660 kg de restes osseux et dentaires d’équidés. Or, entre la cavalerie germaine et la cavalerie gauloise, plusieurs milliers de chevaux ont combattu à Alésia[4]. La rigueur scientifique des conclusions retirées d’une telle étude apparaît pour le moins légère.

 

2 -Localisation du matériel découvert

 

        Les restes ont été trouvés dans un fossé de contrevallation du Réa. Comme pour les armes ou les monnaies, le matériel trouvé dans un fossé de contrevallation ne peut pas provenir de l’armée de secours : « Celle-ci venait de l’extérieur, et ne peut s’être heurtée aux défenses de la ligne intérieure de contrevallation[5]. » » Donc ce matériel ne peut provenir que de l’intérieur des lignes, c’est-à-dire de l’armée gauloise… laquelle n’avait plus de cavalerie lors du combat final !

 

3 -Doutes sur la présence des chevaux germains

 

        Après le regroupement des légions et avant la retraite de son armée vers la Province, « César, qui savait la supériorité de l’ennemi en cavalerie... envoie des messagers au-delà du Rhin, en Germanie… et se fait fournir par eux des cavaliers avec les soldats d’infanterie légère qui sont habitués à combattre dans leurs rangs. À leur arrivée, ne trouvant pas assez bien dressés les chevaux dont ils se servaient, il prit ceux des tribuns, des autres officiers, et même des chevaliers romains et des vétérans, et les distribua aux Germains[6]. »

        De plus, à l’issue de la première bataille de cavalerie dans la plaine de 3000 pas devant Alésia, César nous apprend que : « Après avoir tué beaucoup d’ennemis et pris un très grand nombre de chevaux, les Germains se retirent[7]. »

        Si l’on en croit César, les chevaux de type germanique n’ont donc pas été engagés à la bataille d’Alésia. Ils ont été remplacés par des chevaux de la cavalerie romaine ou gauloise. Comment peut-on supposer alors qu’une partie des restes découverts provienne de chevaux germains ?

 

4 -L’origine des chevaux

 

        Au sujet des montures gauloises et germaniques, César écrit : « Les Germains n’importent même pas de chevaux, qui sont la grande passion des Gaulois et qu’ils acquièrent à n’importe quel prix ; ils se contentent des chevaux indigènes, qui sont tordus [8] et mal faits, mais qu’ils arrivent à rendre extrêmement résistants grâce à un entraînement quotidien[9]. » Il nous apprend ici que les Germains se contentent des chevaux indigènes, contrairement aux Gaulois qui n’hésitent pas à en importer.

         Les chevaux gaulois sont donc soit des chevaux indigènes, soit des chevaux importés, soit des croisements entre les deux. « Les modifications de morphologie des animaux domestiques peuvent avoir plusieurs origines, soit l’amélioration des souches locales, soit l’importation d’animaux améliorés[10]. »

        Jean-Louis Brunaux : « César, partout où il était passé, avait réquisitionné les chevaux, parfois même les cavaliers[11]. » Et il cite César : « César en finit avec l’assemblée et ordonne aux états de lui fournir des cavaliers[12]. »

        Cela confirme que les montures de l’armée romaine pendant la conquête étaient soit des chevaux italiens, soit des chevaux pris dans la Province, soit des chevaux récupérés en Gaule pendant les campagnes césariennes. Leurs origines étaient donc variées, et par là-même leur taille et leur morphologie.

 

5 -La taille des chevaux

 

        A la fin de la Tène D1, après une longue diminution, la taille moyenne des chevaux gaulois indigènes est de 1,25 mètre[13], les tailles extrêmes étant 1,10 et 1,40 mètre[14].

        « Les chevaux germains, tels qu’on les connaît grâce aux fouilles de Manching, ne présentent guère de différence avec ceux de Gaule Belgique[15]. »

        Sur la taille des chevaux gaulois et germains, on peut citer aussi : « D’après Vianney Forest[16], en Gaule et en Germanie, la hauteur au garrot des chevaux ayant vécu entre 300 av. et 50 apr. J.-C. se situait entre 1 et 1,35 mètres[17]. »

        Concernant les chevaux romains : « La taille des chevaux romains oscille entre 145 et 155 cm, pouvant atteindre et dépasser les 160 cm de hauteur[18]. » Pour autant peut-on en conclure que les montures de la cavalerie romaine étaient d’une taille très différente de celle des autres équidés ? César, avant le siège de Gergovie, fait passer des mulets pour des chevaux : « Au point du jour il fait sortir du camp un grand nombre de bagages et de mulets, enlever le bât à ceux-ci, et faire le tour des collines aux muletiers coiffés de casques, qui ont l’air d’être des cavaliers[19]. » Jacques Santrot conclut avec beaucoup de prudence que dans l’armée romaine, les chevaux de taille moyenne étaient réservés pour la cavalerie, et les chevaux de haute stature pour le prestige des officiers[20]. Et, citant Dixton et Southern[21] : « Les connaissances actuelles ne permettent pas d’expliquer aujourd’hui la grande variété de la taille des chevaux montés par la cavalerie romaine[22]. »

        Sur la taille, citons enfin Norbert Benecke : « En conclusion, les ossements du chantier XIX témoignent d’une grande variation morphologique des chevaux. Avec la méthode utilisée, la hauteur au garrot varie entre 115 et 160 cm. Si, dans le matériel, deux groupes de taille semblent se dessiner, (115-135 cm et 141-160 cm), il s’agirait plutôt d’un résultat fortuit dans un échantillon réduit[23]. Les mesures dentaires plaident pour une variation continue[24]. »

        Grande variation morphologique, résultat fortuit, échantillon réduit : que peut-on conclure sur la taille des chevaux du lot étudié ?

 

6 -Le problème des mulets

 

        Dans L’Archéologie du Cheval, le problème de l’étude des os, particulièrement quand ils sont brisés, est posé en ces termes à propos des hybrides : « Les os [de mulets] présentent pour la plupart d’entre eux des caractères intermédiaires entre ceux des chevaux et ceux des ânes et la taille ne peut plus constituer un indice puisque le mulet a une stature proche de celle du cheval »[25].

        L’étude d’os en grande partie brisés ne facilite donc pas l’établissement d’une distinction entre des mulets et des chevaux ; ni, de ce fait, la distinction entre une fonction de transport de marchandises et une fonction de monture de guerre.

 

7 -L’âge et le sexe des chevaux

 

        La détermination des âges s’opère essentiellement par l’étude de l’usure des dents. Le résultat est une répartition des âges entre 4 et 20 ans, avec prédominance des âges entre 6 et 10 ans[26].

        L’étude du sexe se fait par l’observation sur les restes, d’une part de caractères anatomiques du bassin, d’autre part du développement des canines (absentes ou petites chez les femelles). Or dans les fragments étudiés, « les os du bassin sont si fragmentés, qu’aucune reconnaissance du sexe n’a pu être faite. D’un autre côté, le manque de rangées dentaires complètes rend la reconnaissance du sexe d’après les dents problématique23. »

        « Les mâles semblent avoir été dominants dans le lot étudié[27]. » Vu ce que l’on vient de lire, cette affirmation apparaît donc dépourvue de fondement.

 

8 -L’aspect des os retrouvés

 

        « Il faut encore préciser que les os observés ne portaient aucune lésion visible. On peut en conclure prudemment que les animaux étaient sains, du moins du point de vue orthopédique[28]. » On peut faire observer aussi que l’absence d’un minimum de lésions osseuses peut surprendre. Au cours d’une bataille frontale entre deux cavaleries ennemies, on utilisait javelots, glaives, épées contre cavaliers et chevaux. De plus, dans le cas tout à fait envisageable où les chevaux étaient ferrés[29], ils auraient infligés, en se cabrant, des lésions traumatiques (crâne, membres antérieurs …) aux chevaux ennemis.

 

 

 

Conclusion

 

        Les éléments établis au terme de cette étude sont donc les suivants :

  • L’échantillon apparaît très réduit pour autoriser les conclusions qui en découlent.
  • L’échantillon a été retrouvé dans un fossé de contrevallation, qui contredit sa mise en relation avec la dernière bataille du siège de 52.
  • Le texte de César oriente vers une participation des chevaux d’origine germanique à la bataille pour le moins douteuse.
  • Les origines diverses des chevaux de l’armée romaine (indigènes, gaulois), ajoutées aux origines diverses des chevaux de l’armée gauloise (indigènes, importés, croisés), et à la variation continue des tailles, ne permettent pas d’établir l’appartenance des chevaux à l’un ou l’autre camp, pas plus que la distinction, difficile à établir, entre chevaux et mulets.
  • L’absence de lésions traumatiques osseuses signant la participation à une bataille ne fait qu’ajouter aux doutes.

       

        L’étude des restes de chevaux trouvés au pied du Réa, exposée dans le rapport de fouilles, ne permet donc en aucun cas de tirer une conclusion quant à son éventuel rapport avec la bataille d’Alésia.

 

 

NOTES ET REFERENCES



[1] Site internet du Muséoparc alésia.com, lien alésia, c’est où ?

[2] Voisin Jean-Louis, Alésia, Un village, une bataille, un site, Editions de Bourgogne, 2012, p. 178.

[3] Benecke Norbert, Les Restes Fauniques d’Alésia, in Michel Reddé et Siegmar von Schnurbein (dir.) et coll., Fouilles et recherches franco-allemandes sur les travaux militaires romains autour du mont Auxois (1991-1997), Mémoire de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, Paris, 2001, 2, 369-386, p. 373.

[4] César, B.G., VII, 76, à propos de l’armée de secours : « … après avoir réuni 8 000 cavaliers et environ 250 000 fantassins. » César ne donne pas de chiffres pour la cavalerie germaine. Quant à la cavalerie gauloise de l’armée de Vercingétorix, elle n’est plus présente sur l’oppidum à la fin du siège.

[5] Reddé Michel, Introduction à l’étude du matériel, in Michel Reddé et Siegmar von Schnurbein (dir.) et coll., op. cit., 2, 1-9, p. 6.

[6] César, B.G., VII, 65.

[7] César, B. G., VII, 70.

[8] Les manuscrits de la classe Béta donnent parva (petits) et les manuscrits de la classe alpha donnent prava (mal faits). Camille Jullian indique qu’il faut préférer les seconds aux premiers (Histoire de la Gaule, II, VIII, VI, note 120).

[9]César, B.G., IV, 2.

[10] Méniel Patrice, Importation de grands animaux romains et amélioration du cheptel à la fin de l'Âge du Fer en Gaule, in Revue archéologique de Picardie, 1996, 3, 3-4, p. 115.

[11] Brunaux Jean-Louis, Alésia, Les Journées qui ont fait la France, 27 septembre 52 av. J.-C., Gallimard, 2012, p. 86.

[12] César, B.G., VI, 4.

[13] Arbogast Rose-Marie, Clavel Benoît, Lepetz Sébastien, Méniel Patrice et Yvinec jean-Hervé, 2002, Archéologie du cheval, Paris, Errance, p. 45.

[14] Méniel Patrice, op. cit., p. 119.

[15] Méniel Patrice, op. cit., p. 121.

[16] Forest Viannet, à paraître, Équidés de La Tène finale et de la période romaine en Gaule : approche ostéométrique, in Izac-Imbert Lionel et Blanchard Jean-Luc (dir.), L’exploitation agricole dans son environnement à la fin de l’âge du Fer. Nouvelles approches méthodologiques (Actes de la Table-ronde de l’EHESS de Toulouse, 2004), Toulouse, Archives d’Ecologie préhistorique.

[17] Santrot Jacques, Morin Anne, Grünewald Mathilde, Argiotalus, fils de Smertulitanus, cavalier namnète à Worms (Allemagne) sous Tibère, Revue archéologique de l'Ouest 25, 2008, § 20.

[18] Audouin-Rouzeau Frédérique, La taille des animaux d’élevage à l’époque romaine et leur exportation. Homme et animal dans l’Antiquité romaine (Actes du colloque de Nantes, 1991). Tours, Centre de recherches André Piganiol, 1995, p. 81-82.

[19] César, B.G., VII, 45.

[20] Santrot Jacques, op. cit, § 19.

[21] Dixon Karen R., Southern Pat, The Roman Cavalry. From the First to the Third Century AD, Londres/New York, B.T. Batsford Ltd, 1992, p. 166-167 et 170-171.

[22] Santrot Jacques, op. cit., § 19.

[23] Benecke Norbert, op. cit., p. 373.

[24] Benecke Norbert, op. cit., page 375.

[25] Arbogast Rose-Marie et coll., op. cit., page 7.

[26] Benecke Norbert, op. cit., p. 374.

[27] Reddé Michel, Alésia, L’Archéologie face à l’Imaginaire, Errance, 2003, p. 184.

[28] Benecke Norbert, op. cit., page 375.

[29] Brouquier-Reddé Véronique et Deyber Alain, Fourniment, harnachement, quincaillerie, objets divers, in M.Reddé et S. Von Schnurbein (dir.) et coll., op. cit., 2, 293-362, p.321 : « … il ne fait pas le moindre doute qu’à la Tène finale, le fer à cheval existe dans l’aire alpine et en Bohême… On connaît la représentation d’un cheval ferré sur une gravure ornant un grand vase de l’habitat celtique d’Aulnat, près de Clermont-Ferrand, daté des années 120 à 80 av. J.-C. »